Le El Niño frappe encore... mais cette fois, on l'attend!




 

Le El... quoi???

Naguère, les pêcheurs du Pérou nommaient El Niño - en espagnol: l'Enfant Jésus, ce courant chaud de l'océan Pacifique, qui se manifestait au printemps ou à l'été dans l'hémisphère nord et qui s'intensifiait jusqu'à atteindre son maximum vers Noël pour ne cesser qu'en mai ou juin de l'année suivante. On se rendait compte de son arrivée, car les eaux froides, normalement très riches en plancton, ne contenaient plus autant de poissons : ces derniers mourraient ou se dirigeaient au sud vers le Chili.

Ce grand changement climatique, le plus important après les saisons, fut découvert au cours des années 20, par un scientifique britannique, Sir Gilbert Walker qui a établit une corrélation entre la pression barométrique aux stations météorologiques à l'ouest et à l'est du Pacifique. Il a remarqué un effet de balance: si la pression augmentait à l'est, elle diminuait à l'ouest et vice et versa.

Vers les années '60, un autre scientifique, Jacob Bjerknes, fut le premier à remarquer un lien entre les températures superficielles anormalement chaudes de l'océan, les alizés qui diminuent et les précipitations abondantes. Il a finalement reconnu que les eaux chaudes du El Niño et le jeu des pressions atmosphériques de Walker faisaient partie du même phénomène.

Cette interaction entre l'océan et l'atmosphère touche particulièrement le climat en Australie, en Afrique, dans l'Asie du Sud et dans les régions tropicales de l'Amérique.


Comment se comporte l'océan sans l'El Nino?

Voici ce qui se passe en temps normal.  Sachant que les vents sont proportionnels à la différence de pression entre 2 points et qu'ils se dirigent des hautes pressions vers les basses, plus la pression près de l'Indonésie/Australie est basse et plus la pression près de l'Ile de Pâques est élevée, plus les alizés, balayant le Pacifique tropical de l'est vers l'ouest, sont puissants. Ces vents "accumulent" de l'eau chaude à la surface du Pacifique ouest, à un tel point que la surface de la mer est d'environ 50 cm plus haute près de l'Indonésie qu'en Équateur.
Par opposition, l'eau du Pacifique, près des côtes de l'Amérique du Sud, est presque 8C plus froide, à cause du brassage qui remonte les eaux froides des profondeurs à la surface du Pacifique est et central. L'eau froide le long de l'équateur, refroidit l'air au-dessus, le rendant trop dense pour qu'il puisse s'élever et ainsi causer de la convection. La partie est de l'océan demeure donc sans nuage, alors que l'eau chaude, située dans l'ouest de cet océan, fournit énormément d'énergie et d'humidité pour créer une large zone d'intenses orages, près de l'Indonésie.

Et si on se retrouve sous l'influence de ce El Nino?

Mais si la pression près de l'Indonésie se met à augmenter et celle près de l'Amérique du sud diminue, la différence de pression devient moins importante et les alizés commencent à perdre de leur vigueur dans le centre et l'ouest du Pacifique; à la limite, ils pourraient même changer de direction. C'est là qu'un El Niño s'installe. L'eau chaude de l'ouest se déplace alors vers les côtes du Pérou; il semble que le voyage prendrait environ 3 mois.

Le centre et l'est de l'océan se réchauffent donc, chauffant ainsi l'air humide qui le surplombe, créant de la convection et formant des nuages et de la pluie. Résultat : cette zone de précipitations et d'orages s'étend alors plus à l'est qu'habituellement. Ces orages, fournissant à la haute atmosphère de l'humidité et des vents, influencent le courant-jet. Ces forts vents en altitude, qui entraînent les systèmes météorologiques, sont déviés, modifiant ainsi la trajectoire des tempêtes. L'atmosphère continue de s 'ajuster en provoquant une baisse barométrique sur le centre et l'est du Pacifique, alors que sur l'Australie et l'Indonésie, la pression augmente. Ces changements de pression jouent sur la force des alizés qui continuent encore à faiblir et à se retirer vers l'est.

Plus l'eau et le vent s'"obstinent" ainsi, plus le El Niño devient important. Il est alors très difficile de dire qui, du vent ou de la mer, a initié ce phénomène, ni qui le fera se renverser. C'est un jeu d'action-réaction. Les alizés redeviendront plus forts entraînant les eaux chaudes de surface vers l'ouest et les eaux froides des profondeurs remonteront le long de l'équateur vers l'est; c'est "La Nina" (la fille) ou "El Viejo" (le vieillard). Environ 18 mois sont nécessaires pour boucler le cycle. Mais, ce scénario faisant naître un El Niño est bien théorique, car tous ne sont pas similaires.

 

Mais est-ce un phénomène prévisible?...


Depuis quelques années, on peut aisément déceler un El Niño. À l'aide des photos satellites infrarouges, la zone d'eau plus froide peut être détectée pendant plusieurs semaines; elle prend la forme d'une "langue froide" qui s'étend à partir de la côte sud-américaine, le long de l'équateur vers l'ouest. Lorsque les alizés faiblissent, cette langue froide diminue et parfois disparaît.

 
On aperçoit alors une tache d'eau chaude qui se déplace de l'Australie/Indonésie vers le Pérou. Cette tache, située entre 10N et 10S, peut s'étendre sur plus de 90 degrés de longitude.
 
Même s'ils ne sont pas aussi faciles à comprendre que l'océan Pacifique, les autres océans intéressent aussi les scientifiques. L'océan Atlantique semble plus difficile à appréhender; mais les chercheurs Sutton et Allen d'Oxford en sont quand même venus à une version plus lente d'un El Niño "atlantique", qui permettrait d'anticiper des données climatologiques jusqu'à un an à l'avance. On a découvert, grâce à une analyse des températures de l'Atlantique depuis la Seconde Guerre mondiale, un cycle de 12 à 14 ans au cours duquel un courant chaud naît sur les côtes des Carolines et remonte vers le nord-ouest pendant six ans. Par la suite, un courant froid prend le relais dans les Carolines et suit le même chemin pendant 6 autres années, complétant ainsi le cycle.

L'impact du El Niño sur l'Amérique du nord dépend du moment où le phénomène est à son maximum, de l'ampleur du phénomène et aussi, un peu, de l'endroit où les températures océaniques sont anormales. Il ne faut pas simplement prévoir que le Pacifique se réchauffera, mais aussi à quel moment et quelle sera l'ampleur du réchauffement. Pour prévoir l'arrivée et la trajectoire exacte du El Niño, les prévisionnistes ont besoin de connaître jusqu'à quelle profondeur l'eau est anormalement chaude, la direction ainsi que la vitesse des courants sous-marins. Pour ce faire et depuis 1985, 70 bouées, distribuées dans le Pacifique le long de l'équateur, prennent constamment des lectures de l'océan et les satellites nous transmettent des des données.

Mais il ne faut pas trop attendre d'un tel type de prévisions, car on ne peut malheureusement pas encore définir le type de précipitations. Ce n'est qu'après le El Niño de cette année que l'on saura si les modèles de prévisions sont efficaces.


Effets du El Niño 1997-1998:

Voici les changements auxquels on pourra s'attendre (ou qui sont déjà commencés, lors de la rédaction de cet article à la mi-août 97) dans diverses régions du monde.  On ne sait pas si le El Niño de cette année aura une incidence sur le nombre d'ouragans qui se formeront dans l'océan Atlantique, la mer des caraïbes et le golfe du Mexique. Ce qu'on sait, c'est que les forts vents de l'ouest provoqués par le El Niño ont tendance à repousser les dépressions tropicales avant qu'elles ne se développent en ouragan. Cependant, à la fin d'août, alors qu'on arrivait théoriquement dans le plus fort de la saison des ouragans, les régions tropicales, berceau de ces tempêtes, semblaient plutôt calmes.

Le Centre de prévisions climatologiques de NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) a émis un bulletin de prévisions pour les mois de janvier à mars 98.

Malgré le fait que les prévisionnistes ne seront certains de ce qu'ils avancent que lorsque les modèles de la circulation de l'atmosphère de l'automne seront établis, ils disent que les états du nord-est auront un hiver relativement doux. Toutefois, un doute subsiste, puisque la circulation atmosphérique au-dessus de l'est de l'Amérique du nord est autant influencée par un El Niño dans le Pacifique que par les températures de surface de l'océan Atlantique, qui elles, sont encore incertaines. Mais de toutes façons, même si l'hiver était plus doux, les tempêtes de neige ne sont pas exclues !

Ailleurs dans le monde, on prévoit du temps plus humide en Amazonie, alors que le nord du Brésil le sud de l'Afrique devraient être relativement secs.


On l'attend, oui... mais comment?

En Californie, on prévoit avoir une année bien "mouillée" avec des inondations et probablement des glissements de terrain. Considérant ces probabilités, certains bureaux météorologiques californiens ont ajouté d'autres pluviomètres à leur instrumentation et plus d'observateurs amateurs sont entraînés à prendre des mesures précises en vue de produire des prévisions d'inondations.

Il semble qu'au Mozambique, en Afrique du sud, la saison des récoltes fera face à une sécheresse importante, puisque le El Niño n'apportera que de faibles précipitations pour l'hiver.

À la mi-août, les habitants des Philippines, voyant poindre à l'horizon une sécheresse importante, ont planifié d'utiliser d'immenses feuilles de plastique pour "attraper" la pluie et l'envoyer directement vers les fermes. Selon le plan de construction, environ 16 puits peu profonds, d'une largeur de ½ à 2 hectares, devraient être creusés, puis recouverts avec des feuilles de plastique. Les fermiers pourront ainsi pomper ou siphoner l'eau à partir du puits jusqu'à leurs bâtiments.
Le bureau météorologique des Philippines constatait qu'entre avril et juillet, la pluie avait été faible en raison du nombre d'ouragans qui était anormalement bas.

On estime que 3,5 millions de personnes nécessiteront de la nourriture d'urgence au cours de l'année dans le centre et le sud de l'Éthiopie à cause de l'arrivée du El Niño.

Qu'arrivera-t-il exactement au cours des prochains mois? Seuls les vents et la mer le diront... Mais nous, on se tiendra aux aguets...!


Le El Niño de 1982-1983... très important dans l'histoire climatique

Avant ce fameux El Niño, les scientifiques n'avaient vraiment pas assez de données pour prouver qu'un tel phénomène était en préparation. Les seules informations dont ils disposaient alors, parvenaient des quelques bateaux postés dans le Pacifique et des satellites qui fournissaient une vue globale de l'océan. Mais, comble de malchance, en avril 1982, le volcan mexicain El Chichon, fit éruption, provoquant une brume dans la haute atmosphère embrouillant la vue des satellites. Pour ajouter à la confusion, le pire El Niño du siècle a pris les scientifiques par surprise parce que contrairement à ceux des  30 années précédentes, il n'a pas été précédé par une période durant laquelle les alizés, le long de l'équateur, étaient très forts; en plus, il a commencé plus tard dans l'année. À cause d'un manque de données, il n'a pu être prévu, voire reconnu, lors de ses premiers effets.

On a réalisé sa venue quand les alizés se sont mis à diminuer, en mai 1982. Au lieu de souffler des Iles Galapagos jusqu'en Indonésie, ils changeaient de direction pour venir de l'ouest, et ce, aussitôt rendu à l'ouest de la ligne de changement de date. Il n'a fallu que quelques semaines pour que l'océan réagisse aux changements de vent. Près de l'Ile Christmas, dans le milieu du Pacifique, le niveau de la mer avait augmenté de plusieurs centimètres. En octobre, le niveau de l'eau était à près de 30 cm plus haut jusqu'à 9000 km à l'est, vers l'Équateur. Ceci a causé une baisse à l'ouest occasionnant des dommages aux récifs de corail de la région. La température de la surface de la mer près des Galapagos et le long de la côte de l'Équateur est passée d'environ 22C à 28C. La vie marine, puis ensuite la faune ont alors réagit: suite à la hausse du niveau d'eau à l'île Christmas, les oiseaux de mer ont abandonné leurs petits pour partir désespérément à la recherche de nourriture. Quand la situation est revenue à la normale vers le milieu de l'année 1983, le quart de la population des phoques et des lions de mer du Pérou, ainsi que tous les bébés étaient sans vie. Ce El Niño a aussi causé des dégâts terrestres. Dans le nord du Pérou et dans l'Equateur, plus de 2500 mm de pluie sont tombés pendant 6 mois transformant les déserts en champs d'herbes hautes pigmentés de lacs. La végétation a fait naître une immense colonie de sauterelles qui elles, ont attirés les crapauds et les oiseaux. Des poissons sont devenus prisonniers des lacs suite aux inondations, la population de crevettes a atteint des records, mais celle aussi des moustiques qui sèment la malaria. L'industrie de la pêche a souffert énormément de la migration des sardines vers le sud, dans les eaux chiliennes. Sur les régions plus occidentales, la trajectoire des typhons ayant été déviée, ils ont frappé des îles (Hawaii et Tahiti) inhabituées à leur visite. La mousson s'est abattue sur le centre du Pacifique au lieu d'à l'ouest, causant de la sécheresse et des feux de forêts en Indonésie et en Australie.

Les stations de ski du nord des Etats-Unis ont déploré l'hiver, car la neige manquait et le temps était doux. Le El Niño a empiré la sécheresse en Afrique, a causé d'importantes tempêtes hivernales en Californie et des inondations en Louisiane, Floride et Cuba. Les tempêtes de cet hiver-là, ont détruit 33 maisons situées sur les plages californiennes. En août 1983, de forts vents et des pluies abondantes dans le désert de l'Arizona ont inondé des maisons et transformé les rues en torrents.

Les neiges et pluies record en Californie ont causé des inondations et des glissements de terrains qui se sont chiffrés à environ 200 millions de dollars de dégâts. Aux États-Unis, le passage de ce courant chaud a coûté 2 milliards de dollars en dommages dûs aux tempêtes et aux innondations sur la côte Pacifique, dans les montagnes Rocheuses et dans les états du Golfe. Mais, par contre, il a permis d'économiser 500 millions de dollars en chauffage, puisque  c'était l'hiver le plus chaud dans l'est depuis 25 ans. Par opposition, l'hiver 1976-1977 a été l'un des plus froids dans le midwest et l'est des États-Unis depuis un siècle. Cette année-là, la Californie avait été dans un état de sécheresse important.

À l'échelle mondiale, les pertes économiques dues au El Niño de 1982-83 sont estimés à plusieurs milliards de dollars et à plus d'un millier de morts.

Mais... il y en a eu beaucoup comme ça?!?

Plusieurs El Niño ont eu lieu depuis une cinquantaine d'années. Les plus populaires ont été ceux des années 1957-58, 1965, 1972-73, 1982-83, 1986-87, 1991-92. Comme on vient de le mentionner, celui de 82-83 a été le pire, alors que celui de 1986-87 fut assez doux. Celui de l'année 1991-92 semblait être dans la moyenne.

 

L'image plus bas évoque la corrélation entre les températures de surface de la mer dans l'est du Pacifique, la pression barométrique à Darwin en Australie et la quantité de pluie reçue à l'île Christmas. À noter: les années El Nino sont en jaune.


Dommages possibles causés aux récifs de corail

Le courant chaud apporté par un El Niño à l'est du Pacifique et les marées basses de l'ouest de cet océan peuvent causer d'immenses dommages aux récifs de corail tropicaux. Quand la température de l'eau est trop élevée, le coral expulse de ses tissus, une algue symbiotique (zooxanthellae) et devient blanc. Une fois blanc, le corail perd la nourriture que lui fournit normalement cette algue. Malgré le fait que les coraux récupèrent souvent leurs zooxanthellae et qu'ils survivent à ces événements "blanchissants", il se peut aussi qu'ils en meurent à cause du stress qui est trop sévère ou trop long.

Lors de l'intense El Niño de 1982-1983, 70 à 95% des coraux du Costa Rica, Panama, Colombie et des Iles Galapagos sont morts dans ces conditions. Le très bas niveau de la mer du Pacifique ouest a laissé les récifs de corail de Guam, Vanuatu, des Polynésies françaises et des iles Tokelau, exposés à l'air durant le jour. On a alors rapporté plusieurs coraux blancs et autant sont morts. Même les coraux des Caraïbes ont été blanchis par les El Niños qui sont survenus en 1987 et au début des années 1990.

Comme on le voit en gros plan plus bas, les coraux croissent à raison d'un anneau par année.  Lorsque le récif est assez âgé, comme celui en début de ce paragraphe qui aurait une centaine d'années, on peut analyser chacun des anneaux de croissance et en évaluer la composition chimique qui révélera la température et le degré de salinité de la mer au moment où il a été formé.  Les scientifiques peuvent alors se servir de ces informations, en addition à d'autres, pour prévoir le comportement d'un futur El Nino.

À l'époque, aucune prévision n'était possible concernant les El Niños. Mais maintenant que l'instrumentation est plus complète, des experts climatologues prédisent que le El Niño de cette année pourrait équivaloir à celui de 1972 (qui avait causé le blanchiement et la mort de plusieurs "shallow" récifs à Guam) ou celui de 1987. D'autres suggèrent que le El Niño 1997 sera aussi intense que celui de 1982-1983. Ce dernier a causé d'importants dommages aux récifs de l'est du Pacifique, blessures qui ne sont pas encore guéries.


Adresses internet concernant El Nino et La Nina

Tout sur le El Nino, courant chaud du Pacifique... changement climatique important...

Site de la Division des Services Scientifiques d'Environnement Canada
Site d'Environnement Canada (niveau national)
Site de USA Today
Site de CNN... plus que complet!
NOAA, très complet  (explications, communiqués de presse, graphiques, ...)
Thèse de maîtrise de l'Universite de Floride (effets du El Nino sur le Canada, l'Alaska et le Mexique)
Les questions les plus posées concernant El Nino (de AOML de NOAA)
Hypothèse sur la corrélation entre El Nino et la rotation de la Terre
À l'aide de l'outil de recherche Yahoo!... Plusieurs sites

 

Et maintenant, tout sur sa petite soeur, La Nina (courant froid du Pacifique...)

  Site de la Division des Services Scientifiques d'Environnement Canada
  Site d'Environnement Canada (niveau national)
 
 



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